Les débuts, Buenos Aires
Dès sa prime jeunesse, Antonio Asis est attiré par la couleur, comme en témoigne cette anecdote : « Mon intérêt pour l'art a commencé quand j'avais 9 ans. Je me souviens que je n'avais de l'argent que pour m'acheter un tube de couleur. Alors j'ai appris à peindre avec une couleur.1Interview d'Antonio Asis, Éditions Mak, Mike-Art Kunst, 2014 »Doté d'un talent précoce, Antonio Asis entre à l'âge de 14 ans à l'école des Beaux-Arts de Buenos Aires, et en 1955, il obtient le diplôme de Professeur de Peinture de l'École nationale des Beaux-Arts de Prilidiano Pueyrredón. Durant ces années de formation, l'artiste est initié aux mécanismes de perceptions visuels grâce à l'enseignement d'Héctor Cartier, titulaire de la Chaire de Vision, fondé sur les théories de la Gestalt promulguées par le Bauhaus, et enrichi des idées de Moholy-Nagy et de György Kepes. Antonio Asis se souvient de l'impact stimulant qu'il avait exercé sur lui : « À l'école nationale des Beaux-Arts de Buenos Aires où j'ai fait mes études, j'ai eu la chance d'avoir M. Cartier comme professeur de composition plastique. Il rassemblait des étudiants de différentes classes en les intéressant à la géométrie constructiviste. Il nous parlait aussi des artistes de l'art cinétique en Europe et continuait ses cours avec un enthousiasme fou dans un café proche de l'école. Cet homme a fait connaître l'art géométrique en Argentine et nous lui devons beaucoup.2Voir l'entretien d'Antonio Asis avec Claudine Boni, « Regards croisés. Antonio Asis », La Gazette de l'Hôtel Drouot, Paris, 26 juin 2009, p. 196 »
Dans cette première moitié des années 1950, Antonio Asis fréquente le milieu de l'avant-garde de Buenos Aires, dominé par l'esprit dissident du groupe Madí et celui plus rigoureux du groupe rival, Arte Concreto-Invención. Ces derniers étaient fidèles aux théories promulguées par les concrets zurichois Max Bill et Richard Paul Lohse3Sur l'art concret suisse, on se reportera aux deux catalogues d'expositions dirigées par Serge Lemoine, Art concret suisse : mémoire et progrès, Dijon, Musée des Beaux-Arts, 1982 ; Art concret, Mouans-Sartoux, Espace de l'art concret, Paris, RMN, 2000. Voir également l'étude de Danielle Perret « Art, éthique et engagement », in Les figures de la liberté, Genève, Musée Rath, Genève, Skira, 1995, pp. 188-203, qui défendaient les principes d'un art programmé et sériel, élaboré selon des règles mathématiques, excluant toute expression sensible et individuelle. En réaction à cette approche scientifique de la création, les Madís avaient axé leurs recherches sur la dynamique de l'invention : préférant le cadre polygonal (shaped canvas avant l'heure) au support classique rectangulaire et statique, ainsi que les structures articulées et manipulables des Coplanals4Sur Madí, cf. Arte Madí, cat. exp., Madrid, Centro de arte Reina Sofía, 1997 ; Madí L'art sud-américain, cat. exp. Grenoble, Musée de Grenoble, Paris, RMN, coll. « reConnaître », 2002. Entre géométrie débridée et abstraction rigoureuse, Asis, plutôt que de choisir entre un des deux groupes, a préféré multiplier les recherches et les expérimentations (1953-1955) comme le montrent les quelques rares études qui nous sont parvenues, exécutées au crayon, sur des morceaux de papier glanés ci et là (journal, almanach, feuilles de cahiers...).
Sans titre, 1954
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Autoportrait cubiste, 1955
© Courtesy Galerie Harold t'Kint de Roodenbeke
Sans titre, 1953
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sans titre, 1954
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Composition verte, 1954
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
L'arrivée à Paris, 1956-1959
En quête de savoir et de renouvellement, Antonio Asis ainsi que ses compagnons Boccardo et Ríos, décident de se rendre à Paris en 1956. À cette époque, la ville n'a pas encore perdu son titre de Capitale des Arts et elle continue d'exercer son pouvoir d'attraction auprès des jeunes artistes étrangers. Effectivement, le pèlerinage à Paris constitue une étape incontournable pour parfaire sa formation artistique et rencontrer les maîtres historiques de l'art abstrait encore actifs tels que Herbin, Sonia Delaunay, Pevsner, Arp, Vantongerloo, Kupka, Domela... Ainsi, depuis la fin de la guerre, un certain nombre de compatriotes d'Antonio Asis, tels que Carmelo Arden Quin (uruguayen), Kosice, Maldonado, Melé, Manuel Espinosa, Lidy Prati, Victor Magariños, mais aussi Gregorio Vardanega, ont fait le voyage à Paris - lequel se conclua pour certains par une installation définitive dans la capitale.Antonio Asis se rapproche de la galerie Denise René qui, depuis l'après-guerre, est devenue le temple de l'abstraction géométrique. La galerie venait de vivre une étape qui s'avérera majeure dans l'histoire de l'art du XXe siècle, avec son exposition Le Mouvement en 1955 qui avait révélé au grand jour les artistes ayant contribué à la naissance de l'art cinétique : Yacoov Agam, Pol Bury, Alexander Calder, Marcel Duchamp, Robert Jacobsen, Jesús Rafael Soto, Jean Tinguely, Victor Vasarely. Partageant la conviction que l'art ne doit pas revêtir d'aspect permanent, ces artistes présentèrent des créations révélant un intérêt nouveau pour les notions de mouvement, d'instabilité, de transformation et de manipulation, en opposition au caractère statique et immuable de l'œuvre d'art classique. Ces idées nouvelles allaient dans le sens des expérimentations élaborées par Antonio Asis en Argentine. Ainsi, il trouva au sein de la galerie Denise René une véritable famille : « J'ai été très bien accueilli car à cette époque tout le monde était pauvre. Pour subvenir à ses besoins, Soto, avec lequel j'étais très lié, jouait de la guitare. Schöffer récoltait de la ferraille aux Puces et moi j'étais peintre en bâtiment (...) Trois années plus tard, Denise René m'a invité à faire partie d'un groupe qui exposait régulièrement en France et à l'étranger dans lequel figuraient notamment Agam, Bury, Soto, Tinguely, Schöffer et Vasarely. 5Voir l'entretien d'Antonio Asis avec Claudine Boni, « Regards croisés. Antonio Asis », op. cit »
Les réalisations d'Asis de la deuxième moitié des années 1950 témoignent de la vitalité de ses propositions et d'une volonté de les orienter vers les questions d'optique. Cette période est marquée par l'apparition majeure du genre du relief dans son œuvre. En 1956, il élabore son premier relief à grille, suivant ainsi le chemin inauguré un an plus tôt par son ami Soto avec ses reliefs en Plexiglas (nous ne disposons malheureusement pas de visuels de reliefs de cette date). Le principe constructif du relief à grille d'Asis, simple et efficace, consiste en la superposition d'une plaque métallique perforée au-devant d'un panneau de fond en bois.
Vibration couleur, 1963
© Photo X, D.R.
Mike Art-Kunst, 2014 »
Comme l'a souligné l'historien de l'art Arnauld Pierre, ce passage d'une structure rigide à une structure mouvante rapprochent les reliefs d'Asis de ceux exécutés en Plexiglas par Soto qui se proposaient « en substituant la vibration aux simples relations formelles, de révéler un état profond de la matière et d'accéder par l'art à l'appréhension des forces de l'univers. 7Arnauld Pierre, « Énergies Chromatiques : l'œuvre de Antonio Asis », in Antonio Asis, Sicardi Gallery, Houston, 2007, p. 6 »
Durant cette deuxième moitié des années 1950, Asis a aussi réalisé un grand nombre d'œuvres sur papier comme les « Photogrammes » qui lui permettent d'aborder la géométrie à travers la problématique de la lumière et du mouvement 8Le papier photosensible a été offert à Asis par Adolfo Kaminsky, photographe et ancien expert en faux papiers de la Résistance à Paris. Il est né en 1925 à Buenos Aires et était aussi ami de Soto. Le choix de cette pratique expérimentale l'inscrit dans la lignée des recherches de Moholy-Nagy dont l'ouvrage « Vision in Motion » (1947), vantait « le miracle optique du noir et du blanc (qui nait) du seul rayonnement immatériel de la lumière, sans qu'il soit fait appel à des sens cachés – littéraires ou associatifs et sans appréhension visuelle et effective d'effets pigmentaires ». Les « Photogrammes » d'Antonio Asis mettent en place des schémas compositionnels qu'il reprendra plus tard en peinture, comme la superposition décalée d'éléments en spirale, circulaires ou rectangulaires. Ces œuvres présentent des suites d'abstractions lumineuses où l'objet disparaît derrière l'impression de mouvement.
Photogramme, 1958
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Photogramme, 1958
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sans titre, 1960
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sans titre, 1958
© Courtesy Galerie Harold t’Kint de Roodenbeke
Composition Abstraite, 1959
© Courtesy Galerie Harold t’Kint de Roodenbeke
Esquisse, 1958
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sans titre, 1960
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Les années 1960, ou la naissance d'une carrière
Au début des années 1960, Antonio Asis devient l'assistant de Soto et entame une amitié qui durera jusqu'à la mort de ce dernier. Durant cette décennie, il affirme son langage plastique et son identité artistique. Il évolue au sein du groupe des « Latino-américains à Paris » qui réunit les artistes abstraits géométriques venus s'installer comme lui à Paris, tels que Luis Tomasello (en 1957), Julio Le Parc (en 1958), mais aussi Francisco Sobrino, Horacio Garcia Rossi, Sergio Moyano et Demarco... Le phénomène est suffisamment important pour que la galerie Creuze décide de leur consacrer une exposition, 30 Argentins de la nouvelle génération (Paris, 1962), suivie trois ans après par l'exposition Artistes Latinos Américains de Paris au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris.
Antonio Asis avec Jesús Rafael Soto et Sergio Tosi dans les rue de Berne
© Photo X, D.R.
Dans la continuité de ses travaux de la deuxième moitié des années 1950, Asis réalise un nombre important de reliefs à grille, forme d'expression à laquelle il restera fidèle durant toute sa carrière. Au fur et à mesure des années, il en diversifiera les formats (horizontaux, carrés), les dimensions (qui iront jusqu'à 2 mètres de large), les types de perforations des grilles (circulaires, carrés, rectangulaires). Mais c'est bien entendu dans ses choix compositionnels que le talent de l'artiste s'exprime, reposant sur l'emploi d'éléments géométriques simples (cercles, carrés, triangles, lignes), les jeux de trames, les séquences sérielles et modulaires, les associations chromatiques contrastées fondées sur les lois optiques. Ainsi, d'un relief à l'autre, la transformation des éléments géométriques en formes mouvantes, les effets d'ambiguïté spatiale et leur impact vibrationnel sont très variables, selon que l'artiste privilégie une approche contemplative ou, à l'inverse, recherche une confrontation plus directe et intense avec le spectateur. On remarque une certaine prédilection pour les reliefs à grille avec en trame de fond les motifs circulaires, l'artiste exploitant ingénieusement leur capacité à entraîner l'œil dans un mouvement giratoire incessant.
Vibration en triangle rouge et bleu, 1970
© Photo X, D.R.
9 cercles dans l'espace, 1966
© Photo X, D.R.
Jusqu'alors, avec les « Reliefs à grille », le spectateur jouait un rôle actif dans le processus de construction et de déconstruction optique de l'œuvre. Désormais, il est invité à modifier l'aspect de l'œuvre par le biais de l'intervention manuelle. Les reliefs à « Boules tactiles » sont constitués de boules en liège montées sur des ressorts fixés à espace régulier sur un panneau, suivant une structure en grille rigoureuse. Un simple contact manuel suffit pour que les éléments stables et ordonnés de la composition vibrent, s'agitent, deviennent insaisissables. Tandis que l'on passe de l'ordre au chaos, du stable à l'instable, le spectateur acquiert le statut de co-créateur de l'œuvre puisqu'il peut décider de ce qui peut ou non bouger à l'intérieur du tableau. Cette approche tactile et manuelle de l'œuvre donne naissance à ce qu'Arnauld Pierre a nommé « une nouvelle forme d'empathie kinesthésique (...). 12Arnauld Pierre, « Énergies Chromatiques : l'œuvre de Antonio Asis », op. cit., p. 6 »
Rouge et blanche, 1969
© Courtesy RCM Galerie
Avec ses reliefs constitués de spirales métalliques, le spectateur est en prise avec les phénomènes de dilatation et de contraction qu'il avait déjà expérimenté à travers ses photogrammes. Il témoignera d'une grande inventivité dans leur déclinaison formelle, privilégiant toujours un emploi de couleur très limité et contrasté allant jusqu'à céder à la tentation du monochrome, avec des compositions montrant des boules blanches sur fond blanc, des spirales dorées sur fond doré, ou noires sur fond noir. Pour Antonio Asis, le recours au monochrome, qui était au cœur des interrogations esthétiques de l'avant-garde du moment, permet de renforcer l'impact vibrationnel de l'œuvre : « (...) Parmi les problèmes auxquels je faisais allusion tout à l'heure, celui qui va apparaître comme primordial est le rapport de deux couleurs semblables – soit un monochrome – mises côte à côte où l'une sous l'autre pour obtenir un cinétisme – soit un monochrome vibrationnelle. L'ombre, le reflet ou la partie lumineuse d'une couleur unique – qu'elle soit laquée sur une spirale ou sur une sphère, augmente le mouvement. 14Antonio Asis, cat. exp. Lumière et Mouvement, op. cit. »
Boules tactiles blanches sur fond blanc, 1973-2015
© Photo X, D.R.
Sans titre, 1965
© Courtesy RCM Galerie
Mouvement concentrique, 1966
© Photo X, D.R.
Mouvement concentrique, 1966
© Photo X, D.R.
« Environnement de Boules tactiles » d’Antonio Asis, présenté à l’occasion de la 5e Biennale de Paris, 1967
© Photo X, D.R.
« Environnement de Boules tactiles » d’Antonio Asis, présenté à la Maison de la Culture de Grenoble pour l’exposition « Cinétisme Spectacle Environnement », 1968
© Photo X, D.R.
Cube n°1, 1969
© Photo X, D.R.
Antonio Asis a réalisé dans un premier temps ses « Damiers blancs et noirs », qui témoignent d'un recours plutôt mesuré à la grille puisqu'il se limite aux seuls noir et blanc pour en éprouver la réversibilité et pousser les effets de contraste au maximum. Après avoir exécuté des œuvres jouant de l'alternance de cercles blancs sur fond noir, ou inversement, de cercles noirs sur fond blanc, Asis a progressivement exploré toutes les combinaisons possibles, vérifiant l'efficacité de la formule plastique mise en place. Ainsi, ces compositions où se succèdent de manière saccadée des demi-cercles blancs et noirs, orientés tantôt verticalement, tantôt horizontalement, obligeant l'œil à une gymnastique visuelle permanente.
Sans titre, 1962
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sans titre, 1960
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Étude, 1960
© Photo X, D.R.
Carrés rythmiques, 1960
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Carrés rythmiques, 1960
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Damier à effets de profondeur, 1969
© Photo X, D.R.
Les années 1970
Les années 1970 chez Antonio Asis sont celles du plein épanouissement et de la reconnaissance. Il fonde le groupe « Position » en 1971 avec quatre autres artistes argentins, Hugo Demarco, Armando Durante, Horacio Garcia Rossi et Leopoldo Torres Agüero. Désirant mettre en place une stratégie collective d'exposition, les recherches du groupe, consacrées à l'expression du mouvement et des vibrations de la lumière, s'inscrivent dans la lignée des expérimentations du GRAV (Horacio Garcia Rossi avait participé au groupe, tandis que Demarco et Durante l'avaient fréquenté ponctuellement). Leurs propositions, qui présentent des jeux mobiles déclenchés par des mécanismes et par l'électricité, sont collectives et interchangeables. Néanmoins, leurs attributions correspondent aux spécialités de chacun : il y a ceux qui utilisent l'électricité comme Durante, Garcia Rossi et Demarco ; ceux qui s'intéressent aux expériences optiques produites par l'intermédiaire de grilles ou de surfaces monochromes animées par des spirales, comme Asis, et ceux préoccupés par la question de la vibration de la couleur comme Torres Agüero, Demarco et Asis également.Le groupe a exposé durant deux ans à travers les grandes villes d'Europe, à commencer par Madrid à la galerie Sen, puis à Bruxelles à la Résidence Empain, à la galerie Sincron à Brescia, et la galerie Guénégaud à Paris. La dernière exposition du groupe qui se tient à Zurich à la galerie Les Ambassadeurs (catalogue et texte de Jacques Lassaigne), intitulée « Couleurs, lumière, mouvement » est assez conséquente : Asis y présente des pièces de productions récentes, parmi lesquelles une série de cubes de tailles différentes (blanches, rouges et métal), des boules tactiles de couleurs, des trames avec des grilles de métal de 1 x 1 m de différentes couleurs, avec également des ressorts, des spirales, ainsi que trois mouvements concentriques de 1966. Dans la préface du catalogue, le critique d'art Jacques Lassaigne décrit le caractère impalpable de l'ensemble des œuvres exposées, dont le mouvement permanent rend insaisissable « les formes créées (qui) s'animent en fonction de l'espace dans lequel elles peuvent même finir par évoluer d'une façon de l'espace, dans lequel elles peuvent même finir par évoluer d'une façon totalement indépendante, sans aucun lien, aucun fil secret qui les rattache à quelque chose d'existant ou de pesant. Art fugace, immatériel, impondérable, et qui partout et toujours, resurgit, sans précédent, sans référence, et, souhaitons-le, sans point de chute. »
Exposition du Groupe « Position », Galerie Sen, Madrid, 1971
© Photo X, D.R.
Exposition du Groupe « Position », Galerie Sincron à Brescia, 1971
© Photo X, D.R.
Durant ces années, Antonio Asis s'est surtout consacré à ses travaux sur papier qui se classent en deux familles principales d'œuvres. La première explore le motif du cercle, avec les « Cercles concentriques » (dits aussi « Sphères »), et les « Interférences ». La seconde, qui appartient à la famille des « Trames quadrillées », développe les multiples possibilités de la grille dans la lignée des « Carrés rythmiques ». Elle se constitue de séries dont les appellations désignent les multiples effets d'optique recherchés par l'artiste : « Labyrinthes à effets de profondeur » « Diagonales régulières », « Diagonales irrégulières », « Progressions colorées », « Accélérations chromatiques »...
Entrepris dès la fin des années 1950, les « Cercles concentriques » ont retenu durablement l'attention d'Asis qui s'y est consacré avec une rigueur perfectionniste jusqu'à la fin de sa vie. Ces œuvres, de format souvent modeste, adoptent le principe structurel des cercles concentriques (comme l'indique leur titre), traités dans le plan, sans dégradé ni modelé. Elles se caractérisent par une grande délicatesse dans le choix des harmonies colorées, une extrême finesse dans l'exécution. L'artiste a décliné à travers une gamme de couleurs très large les accords de teintes contrastées, amplifiés par la démultiplication des cercles concentriques dont l'épaisseur et la distance n'est jamais la même. Lorsque les « Cercles concentriques » sont dégagés en leur centre et plus dense en périphérie, l'artiste les appelle « Sphères », probablement en raison de l'impression de volume virtuel qui en résulte. Asis aime également les associations inédites de couleurs, dont les rencontres imprévues peuvent dans un premier temps troubler, lorsque se côtoient par exemple un rose pâle et un ocre beige, un rouge éclatant et un violet ... Les impacts produits sur le spectateur par les « Cibles », suivant les interactions des valeurs chromatiques qui se relaient dans les cercles, sont très divers. Ici ce sont les phénomènes hypnotiques qui emportent le regard dans d'illusoires profondeurs ; là, les effets de creux et de renflements qui donnent une impression de respiration de la surface ; ailleurs, la fraîcheur des harmonies colorées qui crée une impression de pulsation douce.
Cercles concentriques, 1965
© Photo X, D.R.
Sphère, 1974
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Cercles concentriques, 1975
© Photo X, D.R.
Sphère, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Sphère, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Interférences concentriques noires et blanches, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Interférences concentriques polychromes, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Interférences concentriques polychromes, 1972
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Labyrinthe à effets de profondeur, 1976
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Labyrinthe polychrome, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Labyrinthe à effets de profondeur, 1976
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Diagonales irrégulières, 1974
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Damier à effets de profondeur, 1975
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Harmonie céleste, 1972
© Photo X, D.R.
Sans titre, 1978
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Des années 1980 à aujourd'hui
L'art cinétique, après une période d'engouement qui s'est étendue des années 1960 aux années 1970, connaît à partir des années 1980 un succès plus limité. Pour Asis, cela se traduit par une actualité moins dense et par une participation essentiellement à des expositions collectives. Ainsi, en 1981, dans le cadre de la manifestation Petits formats d'artistes latino-américains à Paris, qui a lieu à l'Espace Latino-Américain, il présente ses travaux aux côtés d'artistes tels que Julio Le Parc, Gamarra, Guzman, Krasno, Maza, entre autres... En 1982, il prend part à « Künstler auw Lateinamerika » à la Daadgalerie de Berlin. L'année d'après, on le trouve dans diverses Biennales parmi lesquelles la 7e Biennale d'Arte Contemporaneo Struttura-Scultura à San Martino di Lupari dans la province de Padoue où Asis expose avec Garcia Rossi, Satoru Sato, Julio Le Parc et Colette Dupriez. Citons comme autre événement notable la manifestation 100 artistes de l'Amérique Latine qui se tient au Centre Culturel de Compiègne, auxquels participent aussi Le Parc, Novoa, Noé.À la fin des années 1980, l'événement important pour Asis est l'exposition-vente qui se tient à l'Hôtel Drouot à Paris, Atelier Antonio Asis - Œuvres des années 50 à 70, et qui assurera la diffusion de ses œuvres dans les musées et collections privées. Dans les décennies qui suivent, la galerie Claude Dorval soutiendra l'artiste en 1995 avec l'exposition individuelle Expression visuelle, qui voyagera ensuite à la Galleria Arte Struktura de Milan, puis en 2004 avec l'exposition Asis-Garcia Rossi.
Il faudra attendre l'exposition Los Cinéticos qui se tient en 2007 au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid pour marquer le retour en grâce de l'art cinétique. Dans cette exposition, des réalisations majeures d'Asis sont exposées avec celles d'autres artistes historiques de l'art cinétique tels que Soto, Cruz-Diez, Le Parc. Enfin, la rétrospective qu'organisera la Sicardi Gallery à Houston, rendant hommage à 40 ans de créations en 2007, marquera une étape dans la reconnaissance de son travail, en réunissant des œuvres emblématiques ... Cet événement sera suivi par l'exposition Hommage à Antonio Asis chez Meyer Zafra à Paris.
Du côté des musées, citons en 2010 l'exposition Los Sitios de la abstracción latinoamericana au Es Baluard - Museu d'Art Modern i Contemporani de Palma de Majorque. Asis participe aussi à l'exposition collective Los Sitios de la abstracción latinoamericana - Ella Fontanals Cisneros au Haus Konstruktiv, Zurich. La consécration de l'artiste viendra avec la rétrospective qu'organise le Musée de la Universidad Nacional de Tres de Febrero, Antonio Asis, un universo vibrante, en 2012, et qui sera l'occasion de la première publication monographique conséquente sur l'artiste. Enfin, Asis sera représenté en 2013 dans des rétrospectives sur l'art cinétique, Dynamo au Grand Palais à Paris, et Let's Move!, à la Patinoire Royale de Bruxelles en 2015.
Animé par un esprit de recherche permanent, Antonio Asis a continué durant ces décennies à créer dans la solitude de l'atelier. Il a décliné avec une inventivité sans limite les différentes formules plastiques qu'il avait élaborées, réalisant des œuvres souvent de grand format pour les « Reliefs à grilles » et les « Interférences », poussant à son paroxysme leur capacité à envelopper le spectateur et à l'entraîner dans des situations d'instabilités visuelles et physiques. Pour autant, l'artiste a toujours eu une prédilection pour les œuvres aux dimensions plus intimistes, telles que les « Cibles » et les « Trames », auxquelles il se consacrait quotidiennement, tel un pianiste qui fait ses gammes. Il y a exprimé plus qu'ailleurs son talent d'alchimiste de la couleur, sa capacité à en explorer le potentiel vibratoire et les propriétés optiques. Antonio Asis, qui avait été de toutes les manifestations de l'art optico-cinétique des années 1960-1970, a bénéficié depuis une dizaine d'années de rétrospectives qui ont contribué à rappeler le rôle historique qu'il a joué au sein de ce mouvement majeur du XXe siècle.
Vibration en quatre bandes, 2008
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Cercles concentriques, 2010
© Courtesy Sicardi | Ayers | Bacino Gallery
Domitille d'Orgeval
Docteur en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art et commissaire d'exposition, elle est spécialiste de l'abstraction géométrique et cinétique ainsi que des relations entre l'art et l'architecture au 20e siècle.